Pause déjeuner en solo : chronique d’un moment à la fois suspect, triste et absolument délicieux

Il est 12h37. Tu refermes ton ordi portable. Tu fais semblant de chercher tes écouteurs. Mais tu sais déjà ce que tu vas faire. Tu vas déjeuner. Seul.


Tu ne veux pas faire la tournée des bureaux pour organiser un “truc sympa”. Tu ne veux pas parler RSE autour d’un poke bowl. Tu veux juste… manger. Tranquillement. Et c’est là que les ennuis commencent.


“Tu manges tout seul ?” = soupçon social


Dans l’open space français, la pause déjeuner seule n’est pas neutre. C’est presque un acte de défiance passive-agressive.

C’est : un refus de team building, une esquive des conversations molles, un affront à l’esprit d’équipe sauce cantine.


Alors, forcément, la question tombe toujours :

“Tu manges tout seul ?”

Traduction :

“Tu vas bien ? Tu ne vas pas faire un burn-out ou un coup d’État ?”


Les différentes techniques de camouflage


Il existe plusieurs stratégies de gestion discrète de la pause déjeuner solo :


  1. Le faux appel téléphonique en sortant. Marche bien, surtout si tu ajoutes un rire crédible toutes les 20 secondes.
  2. La salle de réunion prétextée. “J’ai besoin de bosser au calme à midi.” (en réalité : sandwich + YouTube.)
  3. La balade digestive qui dure 57 minutes. Tu fais le tour du pâté de bureaux. Trois fois. Avec un wrap dissimulé dans un tote bag.



La joie coupable du déjeuner solo


Car soyons honnêtes : c’est un plaisir immense.

Pas de débat sur le quinoa.

Pas d’anecdote sur les enfants d’un collègue.

Pas de mise à jour sur le dernier chantier RH.


Juste toi, ton plat tiède, et ton algorithme Spotify.

Tu retrouves même une forme de lucidité professionnelle entre deux bouchées. Tu fais le point. Tu respires. Tu redeviens brièvement une personne fonctionnelle.


Mais attention : pas trop souvent


Car si tu manges seul plus de deux fois par semaine, tu deviens “celui qui s’isole”. Et personne ne veut être “celui qui s’isole”.

On t’imagine mystérieux, asocial, voire limite subversif.


Et à la première réunion tendue, quelqu’un dira :

“On a tous remarqué que tu prends pas mal de recul ces derniers temps…”

(traduction : on t’a vu avec ta salade dans la salle projet vide.)


Conclusion : déjeuner seul, c’est du grand luxe… mais sous surveillance


Dans un monde où la collaboration est partout, la pause solo est une petite rébellion douce. Une parenthèse. Une soupape.


Mais comme toute liberté dans l’entreprise, elle doit être bien emballée. Avec un sourire de façade, un badge autour du cou, et un petit “bon app’ à tous !” lancé en quittant l’open space…

…pour aller s’effondrer seul, enfin, dans une chaise de parc, un taboulé tiède sur les genoux.