Pot de départ à La Défense : chronique d’un au revoir sous néons

C’est un jeudi. Il est 17h47. Les mails ralentissent. Une ambiance étrange flotte dans l’open space. Quelque chose se prépare. Non, ce n’est pas un audit. C’est pire : un pot de départ.


Le brief RH : faire simple et convivial, mais pas trop


La RH a réservé un coin kitchenette “collaboratif” au 26e étage, entre la fontaine à eau tiède et le photocopieur multifonction en fin de vie. Elle a commandé : une quiche industrielle, des chips à la crevette (personne ne les mange), et trois bouteilles de pétillant Carrefour “Méthode Traditionnelle”.

“On fête le départ de Sophie, 12 ans de boîte, dont 8 à chercher un sens à sa mission.”


Le moment des discours : gênes et glissements de langage


Le N+1 commence :

“Sophie, tu es une collaboratrice historique. C’est-à-dire que tu étais déjà là quand je suis arrivé.”

(traduction : je ne t’ai jamais vraiment comprise, mais tu étais fiable.)


Puis vient le fameux :

“Tu vas nous manquer…”

(silence gêné)

“…surtout pour ton humour en réunion.”


Tout le monde rit. Personne ne sait si c’est un compliment.


Les cadeaux : entre Excel et bricolage émotionnel


Les collègues ont cotisé pour une Smartbox Évasion Gourmande, parce que “ça fait plaisir” et que “c’est simple à commander”. Le pot aurait pu être un adieu sobre. Mais il y a aussi une carte signée… avec 60 % des messages écrits à la dernière minute. Exemples :

“Bonne continuation Sophie, tu vas cartonner !” (qui ?)

“On se croisera peut-être un jour…” (non.)


Et surtout, cette scène typique : le N+2, qui ne connaît pas Sophie, a demandé à Franck de lui demander discrètement ce qu’elle voudrait comme cadeau. Franck a demandé par Slack. Sophie a répondu : “une Smartbox, comme d’habitude”. Voilà.


Le moment vérité : la porte de l’ascenseur


Après les verres en plastique et les photos floues prises avec un Samsung A20, Sophie prend l’ascenseur. Tout le monde fait mine de retourner bosser. Mais en fait, ils ouvrent Teams pour commenter :

“Tu crois qu’elle est vraiment partie de son plein gré ?”


Conclusion : le pot de départ, ultime rituel de l’entreprise contemporaine


Le pot de départ n’est pas une fête. C’est un rituel. Une soupape sociale. Une façon de dire :

“On ne sait pas gérer les fins, alors on improvise avec du mousseux tiède et des faux rires.”


Mais dans le fond, c’est aussi un moment rare de sincérité déguisée. Parce que ce qu’on n’a jamais dit dans l’année… on le glisse parfois autour d’un Curly, entre deux non-dits.