Entretien annuel : 45 minutes pour valider une année de non-dits

Chaque année, il revient. Comme la grippe saisonnière ou les réunions du lundi matin : l’entretien annuel d’évaluation.


Dès novembre, les premiers frissons apparaissent dans les couloirs :

“Tu l’as eu, toi ?”

“Il a duré 11 minutes, record battu !”

“J’ai eu 3,7 en ‘proactivité’… je crois que c’est bien.”


Le salarié s’y prépare comme à une épreuve du bac.

Il révise ses livrables, relit les fiches projet, cherche désespérément ce qu’il a bien pu faire au mois de mars.

Puis il remplit le formulaire RH : 12 pages à cocher, commenter, nuancer, lisser.

La case “sait travailler en transversalité” reste toujours mystérieuse.


De son côté, le manager s’y colle à contre-cœur, entre deux réunions et une crise Excel.

Il relit distraitement le document de son collaborateur, survole les réussites, multiplie les formulations molles :

“Peut encore gagner en impact.”

“A su prendre sa place dans l’équipe.”

“Montre une belle capacité d’évolution, sous réserve.”


Vient alors le moment solennel : le rendez-vous.

30 minutes de diplomatie molle, dans un bureau trop chauffé.


On y parle de “montée en compétence”,

de “positionnement dans la matrice”,

de “dynamique collective”,

et de “points de vigilance” (traduction : ce qui agace vraiment mais qu’on n’ose pas dire).


Le collaborateur tente un coup : “Je vise une augmentation.”

Le manager lève un sourcil : “Ce n’est pas le sujet de l’entretien.”


À la fin, tout le monde signe.

Avec soulagement.

Le document est transmis à la RH, puis classé.

On n’en parlera plus jamais. Jusqu’à l’année prochaine.


Et tout le monde repart, avec une note de 3,8 sur 5,

des objectifs flous,

et la conviction que tout ça… ne changera pas grand-chose.