L’entreprise moderne adore les mots qui brillent : agilité, vision, stratégie.
Et elle rêve d’une chose : que ses équipes opérationnelles, entre deux bordereaux et trois réunions inutiles, deviennent des stratèges inspirés.
Sauf qu’entre le rêve et le poste de travail… il y a un gouffre.
1. La grande acculturation
Tout commence par une réunion solennelle :
“Vous êtes tous des acteurs de la stratégie !”
Dans la salle, des chefs d’équipe logistique, des agents comptables, un manutentionnaire.
Ils sont là parce qu’ils ont reçu une invitation Outlook obligatoire, pas parce qu’ils ont le temps de méditer sur l’alignement vertical des objectifs.
2. Des post-it pour faire croire
On leur distribue des post-it colorés et un tableau à colonnes :
“Exprimez vos leviers d’impact.”
“Formalisez votre vision terrain.”
Alors ils collent des mots : réactivité, qualité, écoute client.
Puis ils retournent à leur quotidien, fait d’urgences contradictoires, de mails non lus, et de logiciels qui rament.
3. Le rituel stratégique hebdomadaire
Pour faire bonne mesure, on instaure un “rituel stratégique” tous les mardis :
- Lecture du point visionnaire de la direction
- Citation inspirante à méditer (souvent de Mandela ou Steve Jobs)
- Suivi d’un indicateur flou sur l’engagement collectif
Pendant ce temps, la moitié de l’équipe gère un bug bloquant, et l’autre moitié compense une absence imprévue.
4. Une belle idée, mal appliquée
Oui, il faut plus de sens dans les organisations.
Oui, les opérationnels peuvent et doivent être associés à la stratégie.
Mais pas avec des incantations.
Pas avec des PowerPoint hors sol.
Et surtout : pas en surcouchant des concepts là où les conditions de travail ne sont déjà pas réunies pour penser, simplement.
Conclusion
Penser stratégique n’est pas réservé aux comités de direction.
Mais ça exige une chose : du temps, de l’écoute, des moyens.
Sinon, cela revient à demander à des pompiers de rédiger le plan de la caserne… pendant qu’ils éteignent l’incendie.
